Il attend que la mer s’incline, prend son râteau, et transforme le sable en poésie silencieuse. AdP, artiste mystérieux de Saint-Malo, célèbre l’éphémère en laissant derrière lui la plus belle des traces : un dessin que la marée efface, sans bruit, avant que son créateur ne disparaisse à son tour. Aujourd’hui, il se raconte, l’âme en éveil, juste avant de partir sur la route et les plages d’ailleurs.
L’art comme terrain de liberté (et de sable, forcément)
AdP n’a pas attendu de fouler pieds nus la plage pour rêver. Enfant, sa passion pour le dessin était déjà palpable — merci Mamie ! — et un passage de sept ans dans l’atelier cosy d’un professeur à Dinan, coincé entre la gouache et des dames aux cheveux argent, a forgé son regard : apprendre à « voir », et pas seulement à regarder. Un déclic, une petite révolution intérieure.
À 20 ans, s’est posée la grande question : vivre de son art ou préserver sa liberté créative ? AdP a choisi le plaisir et le secret. L’art comme jardin secret, loin des contraintes commerciales. Son métier du quotidien n’a rien à voir, mais répond à une autre passion : l’intérêt pour les gens.
Le sable comme toile, la lumière comme couleur
Installé à Saint-Malo, chaque centimètre de son studio déborde de toiles… jusqu’au soir inattendu devant un reportage d’un artiste australien qui dessine avec un râteau sur la plage. Révélation ! « J’avais la plage, une immense toile à ma disposition, et je n’y avais pas pensé. » Dès le lendemain, virage vers la plage du Sillon.
AdP y découvre une sensation immédiate de liberté. Dessiner pieds nus, tous les sens en éveil, bercé par les odeurs iodées et le chant de la mer, c’est une fête intérieure. Les formes surgissent, cercles ou improvisations, car ici il n’y a pas de cadre, pas de limites, si ce n’est un rocher ou deux qui barrent la route.
- Le Môle ? Texture sableuse parfaite, lumière dorée du soir, et solitude hivernale pour travailler.
- La Varde : secret bien gardé.
- Le Sillon : espace infini, mais de nombreux curieux. Pourtant, certains soirs, la lumière fait oublier tout le reste…
On lui demande parfois si la couleur lui manque. « La couleur elle est là, tout autour de moi. » Voilà qui est dit !
Improviser, partager… puis tout recommencer
Chez AdP, tout respire la spontanéité : ni plan, ni horaire prévus. Il ne dessine que quand l’envie surgit, et s’adapte à la météo capricieuse ou au coefficient de marée parfois facétieux. Le hasard donne sa valeur à chaque œuvre. Il ne prévient jamais personne avant d’intervenir, convaincu que la surprise offre plus de joie que la pré-annonce.
L’anonymat, presque un jeu : certains enfants s’imaginent que ce sont des extraterrestres qui tracent ces signes étranges. Et à la fameuse question « Mais pourquoi vous faites ça ? », il répond invariablement : « Et pourquoi pas ? »
Parfois, partager est une fête : des copains lui prêtent main forte (après tout, ratisser trois heures, c’est du sport !), ou il anime à plusieurs, comme lors du festival Hello Birds, à la plage de l’Eventail. Là, enfants, parents, grands-parents et ados ont dessiné ensemble une pluie d’étoiles. Verdict collectif ? Du plaisir, et du grandiose.
S’évader sans perdre sa trace
Un soir, alors qu’il trace au rythme d’un tango remixé, un couple danse autour de lui. Magie pure, fugace. Car tout est éphémère ici : à la marée suivante, le dessin disparaît, comme si rien n’avait existé. L’ardoise magique façon nature.
Mais la soif d’ailleurs titille notre artiste incognito. Heureux « prisonnier » de Saint-Malo, ville belle, vivante et rythmée par les marées, il rêve de savoir si d’autres plages offrent pareil terrain de jeu. L’appel du large l’emporte donc bientôt pour quatre mois d’aventure en Irlande, Écosse et Islande, voiture, tente et râteau embarqués. Il promet de partager ses trouvailles et nouveaux dessins, avant de revenir poser, une fois encore, la plus belle des traces sur son Sillon adoré.
Un conseil si vos pas croisent un jour un dessin mystérieux sur la plage : savourez l’instant, avant que la mer ne l’emporte… et demandez-vous, qui sait, si ce ne sont pas des extraterrestres qui se sont invités dans le sable.
