Pourquoi, dès que la porte s’ouvre à l’aéroport, avons-nous soudainement l’irrésistible envie de rejoindre la file d’embarquement ? Même si l’avion ne décolle que dans deux heures ! Entre réflexe de masse, crainte de perdre sa place stratégique ou pression sociale sournoise, ce petit manège se répète aux quatre coins du globe. Plongée dans ce ballet (presque) universel où psychologues et voyageurs, coincés entre deux sièges métalliques, tentent de percer le mystère de cette hâte… parfois déconcertante.
Du couloir interminable à la file : le parcours du combattant moderne
Du métro trop bondé aux couloirs sans fin, pour arriver devant la porte d’embarquement, vous avez déjà eu droit à une épreuve digne des jeux du cirque : valises tirées, contrôles répétés, et l’impression que votre terminal est physiquement situé en banlieue de la ville voisine. Quand, enfin, vous vous affalez sur la rangée de sièges vissés au sol, il faudrait être en pierre pour ne pas soupirer de soulagement devant les sifflements prometteurs du moteur de votre avion.
Mais le répit est de courte durée. À la première annonce – « Les passagers du vol Air France 714 à destination de Sydney sont invités à se rendre à la porte 13 pour l’embarquement » – tout le monde saute presque d’un bond. Une file serpentine se forme à toute allure, aussi docile qu’un troupeau bien dressé.
La tyrannie du groupe : entre confort et inconfort psychologique
Maxime, habitué du terminal 2 de l’aéroport Marseille-Marignane, résume l’inquiétude montante : « Ça me fout toujours un peu la pression de voir tout le monde se lever d’un coup, alors que l’avion ne partira pas sans nous. Et qu’évidemment, on va tous attendre debout ». Lui préfère jouer la montre, quitte à embarquer parmi les derniers : moins de temps sur un siège dont l’ergonomie évoque plus le yoga que la relaxation. Mais, avoue-t-il, rester assis parmi les derniers le met franchement mal à l’aise.
Ce malaise n’est pas une simple coquetterie. La docteure en psychologie sociale Alisée Bruno l’explique parfaitement : il s’agit d’une pression sociale, née du désir d’adhérer à la norme collective. « Le biais cognitif imposé par une pression sociale est toujours plus fort que la volonté des individus », précise-t-elle. Même face à l’absurdité, le groupe l’emporte : des études montrent que face à deux crayons identiques, si tout le monde dit que l’un est plus long, la majorité finira par acquiescer, même si elle sait que c’est faux. Bref, la file d’embarquement, c’est parfois l’expérience d’Asch, version guichet et valises.
Arguments d’humeur et stratégies de survie
Mais il ne faudrait pas réduire tout ce beau monde à une bande de suiveurs sans convictions. Christine, toujours rapide à se hisser dans la file, y voit un simple respect des consignes : « On appelle les passagers, alors je m’exécute. De toute façon, il va bien falloir y passer, et si tout le monde attend le dernier moment, il y aura un problème ». Implacable !
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Même si personne n’a été aperçu, mégaphone à la bouche, incitant les passagers à bousculer l’ordre établi, la logique reste redoutablement efficace.
Anticonformistes, moutons et fins de non-recevoir
Quelques esprits rebelles essaient parfois d’instiller un peu d’individualisme dans la machine infernale. Maxime, encore lui, s’est déjà assis ostensiblement tout près de la file, histoire de montrer qu’attendre debout n’était pas une obligation. Effet ? Strictement nul, reconnaît-il en riant.
Autre technique : faire une fausse conversation téléphonique audible, sous-entendant que la logique de la file embouteillée est, justement, une impasse. Mais là non plus, pas de révolution.
Finalement, à moins de se livrer à une manifestation bruyante – ce qui, admettons-le, passerait mal auprès de votre voisin – on en reviendra toujours à cette conclusion : il n’y a rien de fondamentalement grave à se presser dans la file d’embarquement. Mais il est permis, au prochain voyage, d’y réfléchir : suis-je là parce que je le veux… ou parce qu’ils y sont tous ?
